LE MONDE (Article paru dans l'édition du 08.04.05)
Jacques Rabemananjara, poète et homme politique malgache
Le poète et homme politique malgache Jacques Rabemananjara est mort, vendredi 1er avril, à Paris, où il résidait depuis 1972. Il était âgé de 91 ans.
Né le 23 juin 1913 dans la province de Tamatave, sur la côte est de Madagascar, il avait suivi des études au séminaire de Tananarive, puis, à partir de 1939, en France où l'occupation allemande l'avait retenu. Il fréquente les milieux littéraires et publie (en 1940 à Gap) son premier recueil de poèmes, Sur les marches du soir. Ami de Léopold Sedar Senghor, il participera après la guerre, avec le Sénégalais Alioune Diop, au projet de la revue Présence africaine. "Devenir de plus en plus français, tout en restant profondément malgache" sera sa devise.
En 1946, Jacques Rabemananjara participe, à Paris, à la fondation du Mouvement démocratique de la rénovation malgache et est élu député, mais il ne siégera jamais au Palais-Bourbon. Cantonné dans sa circonscription à Madagascar, il est considéré comme l'un des inspirateurs du soulèvement de 1947, malgré les appels au calme qu'il avait lancés à la radio malgache, et arrêté.
Les années passées dans les prisons coloniales, les brimades et les tortures le marquent en profondeur. Il est libéré en 1956 par le garde des sceaux François Mitterrand et fait paraître cette année l'un de ses recueils les plus célèbres, Antsa, préfacé par François Mauriac : "Le sang injustement répandu, la terre ne le boit pas. C'est un fleuve fumant qui continue de couler et qui sépare les victimes de leurs oppresseurs."
En 1960, il est autorisé à rentrer dans son pays quand celui-ci accède à l'indépendance. Il occupera plusieurs postes ministériels au sein des gouvernements du président Philibert Tsiranana. Après la révolution de 1972, il choisit l'exil en France. Il ne retournera à Madagascar que vingt ans plus tard. Candidat à l'élection présidentielle de 1992, il est éliminé dès le premier tour.
Auteur de plusieurs essais politiques, il laisse une oeuvre poétique Rites millénaires (1955), Antidote (1961), Les Ordalies (1972), Rien qu'encens et filigrane (1987)... dense et représentative du mouvement de la négritude qui veut s'émanciper de l'hégémonie culturelle occidentale et du système colonial.
Patrick Kéchichian ( Le Monde)
